Chapitre bonus de L'éclat et l'ombre: Intégration

Aujourd’hui, je vous propose d’en apprendre un peu plus sur un personnage qui a été plutôt apprécié, si j’en crois les retours sur le livre: Lucya.

Intégration

Chapitre supplémentaire du tome 1 de L’éclat et l’ombre, qui se situe à peu près en même temps que le chapitre 16. Un soir, après l’entrainement, on en apprend un peu plus sur Lucya et sur son frère…

La journée touchait à sa fin lorsqu’Aben interrompit l’entrainement.
-Ça suffit pour ce soir, déclara-t-il. On a déjà bien avancé…
Lucya hocha la tête, alla poser son arme contre le mur. Elle repoussa de la main la mèche de cheveux trempée de sueur qui tombait sur son front, puis rejoignit le chemin qui descendait vers le village.
Aben la suivit, l’observant en silence. C’était une élève prometteuse. Elle avait beau n’être arrivée que cinq jours auparavant, elle parvenait parfois à le surprendre, ce qui était rare, même à un stade plus avancé de l’apprentissage. Elle travaillait en silence, appliquée, tenace : malgré la répulsion qu’elle lui avait initialement inspirée, il ne pouvait s’empêcher de l’admirer.
Il ne savait plus trop quoi penser d’elle, à vrai dire. Depuis son arrivée à la base, elle ne lui avait donné aucune raison de douter de sa sincérité. Après tout, lui-même n’avait pas toujours été quelqu’un de bien… Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se méfier d’elle. Sœur de Kej Raisène, ce n’était tout de même pas anodin comme position…
La voyant se diriger vers sa cabane, solitaire comme à son habitude, il fut pris de remords. Il hâta le pas pour la rattraper.
-Viens donc boire un verre avec nous, l’invita-t-il.
Elle lui jeta un regard surpris.
-Boire avec la sœur d’un monstre ? Vraiment ? Si c’est de la pitié, je n’en veux pas.
-Non, dit-il fermement. Allez… Ne sois pas aussi bête que je l’ai été jusque là.
Elle hésita, puis haussa les épaules et le suivit. Ils rejoignirent un petit groupe, installé sur la place du hameau autour d’un pichet de bière. Andréline, l’épouse d’Aben, haussa un sourcil, surprise, en voyant Lucya aux côtés de son mari. Elle se réjouit de le voir revenir à des sentiments plus accueillants. La pauvre Lucya lui faisait peine à voir, si seule, traitée comme une pestiférée… Elle lui sourit et l’invita à s’asseoir à côté d’elle.
Les verres se remplirent, les conversations reprirent, au grand soulagement de Lucya. Elle avait beau feindre l’indifférence face à la froideur qu’on lui réservait depuis son arrivée, au fond, la solitude lui pesait. Seule Eryn se montrait vraiment chaleureuse avec elle, une chance, vu les circonstances de leur rencontre. Mais Eryn était bien occupée de son côté, avec ses propres entrainements. Et Elphège, son mentor, avait tendance à la tirer du lit à l’aurore, quand Aben, responsable de Lucya, préférait commencer tard et finir tard. De fait, les deux amies s’étaient à peine croisées depuis leur arrivée à la base.
Lucya sursauta, tirée de ses pensées, quand Burien, un des hommes présents, l’interpella pour lui tendre une choppe pleine. Elle le remercia.
-Alors Lucya… La vie à la base te plait-elle ? demanda-t-il.
-C’est…. Dépaysant, répondit-elle après avoir bu une longue gorgée. Et assez exaltant, je dois bien le reconnaitre.
-Plus que le trafic de jeunes soignants innocents ? lança Angélie d’un ton agressif.
Aben, Burien et Andréline lui jetèrent de concert un regard exaspéré. Angélie n’était pas réputée pour sa délicatesse… Lucya la regarda, réfléchit un instant à ses paroles.
-Je n’ai aucun regret concernant mes anciennes activités, répondit-elle finalement, tout doucement. J’ai juste la nostalgie de l’époque où je croyais que mon frère était quelqu’un de bien. Avant qu’il ne devienne Kej, avant qu’il me force à l’aider, m’imposant secrètement sa volonté. Mais tu dois pouvoir lire ça en moi, n’est-ce pas ? Ne te gêne pas. Vérifie ma sincérité.
Elle soutint le regard noir d’Angélie, jusqu’à ce que celle-ci baisse les yeux. Aben se racla la gorge.
-Comment était-il, avant… avant tout ça? Demanda doucement Andréline.
Lucya baissa la tête, se replongeant dans ses souvenirs.
-Raisène a toujours été… passionné, extrême. Assoiffé d’une justice qui manquait cruellement durant notre jeunesse. Comme vous devez vous en douter à mon physique, nous sommes originaires du pays voisin, le Tadhub… nos parents du moins. Raisène y est né, juste avant que nous immigrions en Berenia, après la grande famine qui a décimé le Tadhub… mes parents ont été bien accueilli, mais on nous a toujours fait sentir que nous n’étions pas vraiment à notre place. Avant, mon père était un grand soignant; ma mère travaillait pour le Kej. Mais après notre installation à Kelbeth, ils n’ont jamais eu que des emplois minables, dont personne ne voulait. Raisène a très mal vécu cela. Et Les humiliations du quotidien, pour nos parents, pour lui, pour moi…
Elle sourit, nostalgique.
-Il avait six ans de plus que moi. Il me protégeait, toujours. Je ne saurai dire combien de fois il est revenu couvert d’ecchymoses, à prendre ma défense contre d’autres plus forts que lui… à force de travail, il a fini par obtenir un poste à la bibliothèque de Faratine. Il était fou de joie.
A ce stade du récit, la tristesse voilà son regard.
-Malheureusement, nos parents sont morts quelques mois après sa prise de poste. Assassinés, alors qu’ils lui rendaient visite à Faratine… A l’époque, je n’avais que quatorze ans. Quand on m’a appris la nouvelle, j’étais tellement sous le choc, tellement triste, je n’ai pas cherché à en savoir plus que le strict nécessaire : un meurtre tard le soir, dans une grande ville, ce n’est malheureusement pas exceptionnel… Je n’ai pas remis la version de mon frère en doute. J’étais déjà trop heureuse que lui soit en vie, de ne pas me retrouver totalement seule. Il s’est démené pour me faire venir à Faratine, avec lui. Il m’a trouvé une place dans une compagnie de danse, une chance inespérée, un rêve, si ce n’avait pas été dans ces circonstances… La suite, vous la connaissez aussi bien que moi.
Une larme perla sur sa joue. Elle l’essuya rageusement.
-J’aurais dû voir qu’il avait ça en lui, voir cette violence… Quand j’y repense maintenant, je réalise qu’il a changé progressivement. A l’époque, j’y voyais simplement l’évolution d’un adolescent qui devient homme, indépendant, responsable, un homme qui en plus de son travail devait veiller sur sa jeune sœur. Je crois que je n’avais pas envie de le descendre du piédestal sur lequel je l’avais juché.
Tous restèrent silencieux un moment, pensifs. Il était difficile d’imaginer Kej Raisène, bourreau de tant de jeunes soignants, en frère aimant, en enfant meurtri par la vie… Aben reprit finalement la parole.
-Certains d’entre nous ont commis des erreurs plus tragiques que les tiennes. Le double éclat ne fait pas de nous des saints… Tiens, tu pourrais en parler par exemple avec Lysandre ou Elphège, ils ont l’un comme l’autre commis des actes bien pires que les tiens, il y a des années de cela. Et aucun d’eux n’avait l’excuse de ta jeunesse… Et toi, tu peux encore rattraper une partie de tes erreurs. C’est une chance qui n’est pas offerte à tout le monde.